Carmen Rodriguez de France, Ph. D.
Éducation autochtone
University of Victoria
“Nous portons les braises de tout ce qui a brûlé et fait rage en nous. Les douleurs et les chagrins, certes, mais aussi les triomphes, les joies et les moments de clairvoyance. Les gens nous donnent cela. Les gens attisent des flammes dans nos cœurs et dans nos esprits et la vie ne serait pas la vie sans elles. » (Wagamese, Embers: One Ojibway’s Meditations; p. 27).
Le grand écrivain objiwé Richard Wagamese nous a quittés plus tôt cette année. Sa présence physique, si douce et rassurante, nous manquera. Son esprit toutefois est toujours avec nous. À travers sa manière poétique d’habiter le monde, à travers ses mots et à travers sa façon de vivre, j’ai pu mieux comprendre la rédemption, la réconciliation et la renaissance comme des éléments de la vie et des morceaux importants dans la reconstitution de ce qui a été disloqué.
J’ai « fait la connaissance » de M. Wagamese dans l’avion qui me ramenait de Saskatoon à Victoria après une visite de Batoche, de Wanuskewin et de Prince Albert. Ayant immigré du Mexique et grandi dans les années 70, je ne connaissais ces endroits que par des photos, des magazines et un film étranger occasionnel sur le Canada. Ce fut bouleversant d’être plongée dans tant de beauté et d’histoire et dans une ambiance spirituelle aussi chargée. Les paysages, le ciel et la puissance de ces lieux continuent à me remplir de révérence et d’émerveillement. Sur l’avion, j’ai trouvé un vieux journal (que j’ai gardé). Une petite photo de l’auteur a attiré mon attention et ses mots m’ont profondément émue. Après avoir lu « What it comes to mean », Richard Wagamese n’a cessé d’être là dans ma vie. Comme un grand nombre de ses lecteurs, je suis reconnaissante pour sa présence dans le monde, pour ses dons, que nous avons reçus directement et indirectement, et pour les occasions de rédemption, de réconciliation et de renaissance auxquelles il nous invite à penser.
On définit parfois la rédemption comme « l’acte de rendre quelque chose meilleur ou plus acceptable »(http://www.merriamwebster.com/dictionary/redemption). Dans mes recherches sur les autochtones, je suis constamment en quête du sens (What it comes to mean) de ces travaux sur le plan personnel et professionnel. Je veux ne jamais oublier la nécessité de rendre mon travail plus acceptable et meilleur, d’autant que je ne suis pas née ici au Canada. Bien que mes manières d’être et de ressentir se rapprochent de celles de nombreux autochtones que j’ai rencontrés, je suis consciente du fait que je ne suis pas « une des leurs ». La rédemption devient alors un appel quotidien dans lequel je réaffirme mon engagement envers mon lieu de travail, mes collègues, les membres de la communauté avec laquelle je travaille et les personnes que je n’ai pas encore rencontrées.
Tel l’amour, la réconciliation revêt plusieurs formes. À travers ses romans, sa poésie, ses récits, ses exposés et ses éditoriaux, Richard Wagamese nous ont montré que la réconciliation peut ressembler à une mère et son fils qui font la paix dans Dream Wheels, à un père et à un fils réunis dans Medicine Walk, à la découverte d’un lieu d’appartenance dans Keeper N’Me ou à des gens qui attisent des flammes dans nos cœurs et dans nos esprits dans Embers. Dans sa prose et dans sa poésie, j’ai trouvé une façon d’ouvrir la porte à d’autres qui, comme moi, cherchent des façons de répondre aux appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation (CVR). C’est ainsi que j’ai mis sur pied, à la bibliothèque du coin, un club de lecture. Par la fréquentation des œuvres d’auteurs autochtones, nous connaissons et comprenons mieux les points de vue ainsi que les modes de connaissance et d’être des autochtones et apprenons comment « gravir la montagne » dont parle le sénateur Sinclair dans ses allocutions sur la responsabilité que partagent autochtones et non-autochtones quant à la création d’un avenir commun. Il n’y a pas une seule définition de la réconciliation. Il n’y a pas un seul sentier menant au sommet de la montagne. Chacun et chacune doit trouver un chemin ou en créer un; d’abord pour la réconciliation à l’intérieur de soi, puis pour la réconciliation avec le monde extérieur.
Tout en cheminant ainsi et pour maintenir notre engagement vis-à-vis des appels à l’action de la CVR, nous avons besoin d’actes de renaissance dans notre vie de tous les jours. Ils peuvent donner des résultats différents selon le contexte – éducatif, politique, socioculturel, etc. – dans lequel ils s’inscrivent. Idéalement, il faudra tenter de remettre en cause le statu quo, de s’interroger sur l’histoire, de mettre en lien nos communautés et, au bout du compte, de restaurer les statuts de nation et les moyens de subsistance mis à mal. Des exemples d’actes quotidiens de renaissance : parler sa langue autochtone, se mettre à l’écoute des aînés, respecter les protocoles, renouer avec la terre, déconstruire les erreurs historiques et partager des savoirs sur la façon de bâtir un avenir durable.
En tant qu’éducatrice travaillant surtout avec de futurs enseignants, je sais que les ouvertures à créer reposent sur les épaules de ceux et celles d’entre nous qui sont à l’œuvre dans l’enseignement et l’apprentissage, qu’il s’agisse d’écoles, d’universités, de musées, de galeries d’art, de bibliothèques, de centres récréatifs ou de tout autre espace où il est possible de devenir plus conscient, plus compétent, moins prompt à juger, plus compatissant et plus patient. Autochtoniser est éduquer; la création de nouveaux récits, c’est ce dont nous avons besoin. Comme le dit M. Wagamese : « Ce qui importe alors, c’est de créer la meilleure histoire qui soit pendant que nous le pouvons, vous, moi, nous, tous ensemble. Quand nous pouvons faire cela et quand nous prenons le temps de partager ces histoires entre nous, nous faisons plus de place à l’intérieur de nous, nous nous voyons les uns les autres, nous reconnaissons notre lien de parenté – nous changeons le monde, un récit à la fois… ».