Au cours des années qui ont précédé mon obtention d’un poste permanent, à titre de professeure adjointe, j’ai mis sur pied et dispensé deux nouveaux cours aux cycles supérieurs (sur les cinq cours que je devais donner chaque année), mené deux vastes initiatives de recherche d’un million de dollars, remporté un prix d’enseignement, publié sept articles de revue et trois chapitres de livre, présenté des communications à plusieurs congrès nationaux et internationaux, supervisé deux étudiants à la maîtrise qui ont mené à bien leur mémoire et donné naissance à mon premier enfant. Le rythme soutenu et la lourde charge de travail qui furent les miens en tant que femme universitaire sans permanence ont aussi inclus une pause non prévue d’une semaine à l’hôpital pour un ulcère gastroduodénal et les sermons de mon médecin sur l’art de trouver un équilibre.
Si j’ai survécu au sprint menant à la permanence, j’y ai presque sacrifié ma santé et mon bien-être. Mon expérience est malheureusement trop courante. De nombreux professeurs sans permanence se débattent avec de lourdes charges de travail et des demandes incessantes de la part de collègues, d’étudiants et de l’université. Pour pouvoir m’épanouir et maintenir un équilibre au cours du long marathon que suppose une carrière universitaire réussie, j’ai appris que je devais être très attentive au maintien d’un équilibre entre une carrière exigeante et une vie familiale saine et active. Sur la foi de mon expérience comme universitaire et mère, voici les conseils que je peux donner à quiconque veut survivre et s’épanouir au cours d’un parcours menant à la permanence.
D’abord, votre temps hors campus peut être excellent pour réfléchir, notamment sur la dynamique des genres, vous occuper de votre croissance personnelle et être productif. Durant la période qui a précédé ma promotion au poste de professeure agrégée, j’ai donné naissance à mon deuxième enfant. La différence, cette fois, c’est qu’en plus d’avoir un tout-petit et un poupon à la maison, j’ai combiné mon congé de maternité et une sabbatique et travaillé chez moi. Entre l’apprentissage à la propreté, les séances de pâte à modeler et les siestes, j’ai mis par écrit mes buts à long terme comme universitaire, écrit et publié un livre, assumé la direction d’une revue avec comité de lecture et supervisé mes étudiants diplômés. J’ai aussi pris le temps de m’occuper de moi et de prendre de bonnes habitudes, comme aller marcher et m’amuser avec les enfants, préparer et savourer des repas santé avec mon époux, faire des exercices quotidiennement et dormir suffisamment (j’ai encore, je l’avoue, du progrès à faire à ce chapitre). Ces derniers temps, j’ai découvert que d’emmener du travail avec moi à l’aréna est une stratégie qui m’aide à trouver un certain équilibre entre regarder mes deux ados jouer au hockey et corriger des copies d’étudiants, rédiger la version préliminaire d’un rapport et lire des chapitres d’une thèse. Donc, premier conseil : trouvez le juste milieu entre le travail sur le campus et le travail à la maison afin de tenter d’optimiser votre productivité.
Deuxièmement, apprenez quand dire oui et quand dire non. Durant mon parcours vers la permanence et ma recherche d’équilibre entre mes recherches, l’enseignement et une vie familiale exigeante, j’ai appris que le fait de dire OUI à des diverses invitations et opportunités inattendues – m’impliquer dans des conseils et comités, m’engager dans des projets, dans de nouvelles initiatives en matière d’enseignement et de recherche, dans la conception de cours novateurs ou dans des équipes de recherche conjointes, utiliser une nouvelle technologie ou structure de cours, travailler avec des éducateurs dans des ministères et des leaders dans des classes – a eu pour effet d’enrichir ma carrière au plus haut point. Je n’ai pas suivi une ligne droite. Un large éventail de projets, de cours et de responsabilités en matière de leadership et d’activités de service m’a permis d’apprendre, d’élargir mes horizons et d’évoluer comme je n’aurais jamais pu le planifier ni certainement l’imaginer quand j’ai commencé mon programme de formation initiale à l’enseignement il y a 30 ans. Mon travail de professeure continue à me passionner chaque jour en raison de la nature dynamique de mes activités.
Au cours de mes années comme professeure agrégée et professeure titulaire, j’ai aussi appris quand et comment dire NON. Dire non signifie en partie s’en tenir à ses grands objectifs, établir ses priorités et fixer ses limites. Donnez-vous des échéanciers réalistes pour vos projets et réservez du temps dans votre agenda pour ce travail. En prévoyant ainsi ces blocs de temps pour vos priorités et vos projets, vous aurez une meilleure idée du temps qui pourrait vous rester pour les nouvelles demandes qui vous sont adressées. Évitez de mettre votre propre travail, vos propres recherches et votre enseignement en dernier. Bannissez la procrastination et les pertes de temps, comme les tweets à n’en plus finir. Optez pour des réunions à pied plutôt que des pauses-café. Il y a plein de travail à faire et ce n’est pas à vous de tout le faire. Apprenez à dire non avec élégance : Merci pour cette invitation à participer à… J’apprécie que vous ayez pensé à moi… Je dois toutefois décliner votre aimable invitation, car je me suis déjà engagé dans… J’ai présentement un échéancier à respecter pour… Deux de mes étudiants au doctorat sont en train de préparer leur examen de synthèse…. Peut-être une autre fois… La stratégie numéro deux consiste donc à apprendre quand dire oui et quand dire non.
Troisièmement, gérez votre temps, sinon d’autres s’en chargeront à votre place. J’ai appris à tirer pleinement profit de chaque instant de la journée en ayant des systèmes de suivi et diverses autres bonnes habitudes. J’essaie, par exemple, de gérer ma corbeille d’arrivée chaque jour en répondant aux courriels, puis en les classant ou en les supprimant. Tout en prenant un lunch santé, je lis des travaux de mes étudiants diplômés. Je développe des systèmes et des stratégies, comme des listes de choses à faire chaque jour, chaque semaine et chaque mois, des plans de gestion de projets et des tableaux comptables, afin de savoir où j’en suis et de me récompenser quand j’ai fait ce que j’avais prévu. À intervalles réguliers, je documente mes réalisations et je fais le point, qu’il s’agisse de mettre à jour mon curriculum vitae, de classer des documents pertinents (par ex., évaluations des cours, preuves de productivité) ou de trier les documents imprimés qui vont d’année en année dans ma chemise Évaluation de rendement.
Quatrièmement, trouvez des façons de vous impliquer pleinement auprès de la communauté universitaire, sur votre campus et avec des collègues dans d’autres universités, et mettez-vous à la recherche de collègues positifs qui vous donnent de l’énergie plutôt de se saper la vôtre. Travaillez avec des mentors en qui vous avez confiance et des informations crédibles lorsque vous vous préparez en vue de l’obtention d’un poste permanent ou d’une promotion. Trop de nouveaux professeurs – ce fut aussi mon cas – éprouvent de la peur et de l’anxiété à propos de l’obtention d’un poste permanent ou d’une promotion parce qu’ils se laissent impressionner par des légendes urbaines et des potins de couloir ou qu’ils se laissent décourager par des collègues remplis d’amertume au lieu de parler à des collègues positifs, haut placés et ayant de l’expérience en la matière. Je vous encourage donc à prendre comme mentors et accompagnateurs des collègues performants et généreux qui sauront vous conseiller, étudier votre c.v., vous recommander des stratégies pour renforcer votre portfolio en matière de recherche, d’enseignement et d’activités de service et vous expliquer le processus quant à l’obtention d’un poste permanent ou d’une promotion dans votre université. Parlez à des mentors de confiance plutôt que de vous laisser distraire par des histoires d’horreur, des ragots de corridor et des collègues déçus.
Enfin, élaborez votre plan de mobilisation du savoir et un échéancier pour vos activités de recherche et ce que vous avez à préparer – demandes de subventions, articles de revue, communications pour des congrès et autres comptes rendus de vos travaux. Un bon conseil qui m’a été donné et que je suis encore : pour améliorer ma productivité, je mets en chantier plusieurs projets pour lesquels j’établis des échéanciers et des buts; autrement dit, j’essaie d’avoir quelques manuscrits en préparation, quelques manuscrits soumis en vue d’une évaluation et quelques documents sous presse. Je note systématiquement les nouvelles idées qui peuvent donner lieu à des demandes de subventions, à une communication pour un congrès ou à un article pour une revue. Avant une communication pour un congrès, j’essaie de travailler avec mes collègues à l’élaboration d’un plan et d’un échéancier pour préparer et soumettre l’article à une revue. Ne faites pas cavalier seul! Améliorez-vous et bonifiez votre productivité en tant que chercheur en travaillant avec une équipe d’autres chercheurs prêts à partager leur expertise et à plancher sur plusieurs manuscrits en même temps, chaque manuscrit étant confié à un responsable donné. Dernière remarque qui a toute son importance : il vaut toujours vraiment la peine de mentorer et de soutenir vos étudiants diplômés comme premiers auteurs en les accompagnant dans la rédaction de leurs travaux universitaires, en corédigeant des articles avec eux et en présentant avec eux des communications lors de congrès.

Michele Jacobsen, professeure et vice-doyenne
Werklund School of Education, University of Calgary